Du personnage à la Personne, un retour en soi
Propos recueillis par Christine Bedel du Tertre, le 26/01/2017
Après avoir détaillé la rencontre du Souffle-Voix avec une hypnose particulière, les fondateurs de l’Eïnophonie®, Benjamin Grenard et Bernard Sensfelder, développent les principes de leur approche. En s’appuyant sur la lumière de l’Eïnothérapie quant à la déconstruction du personnage et le potentiel d’Incarnation proposé par la Pneumaphonie, l’Eïnophonie amène sa propre synthèse en enlevant jusqu’à soi pour que l’Être puisse d’autant mieux s’incarner.
En dehors d’un état hypnotique bien spécifique que vous avez précisé dans un entretien antérieur, pouvez-vous développer ce qui rapproche et distingue la Pneumaphonie et l’Eïnothérapie ?
B. Grenard : La Pneumaphonie a été initiée par Serge Wilfart, ténor d’opéra, qui était à la recherche de sa vérité vocale. Son constat est que l’on arrive tous à l’âge adulte avec une voix fabriquée, qui – et cela corrobore la lecture de l’Eïnothérapie – est issue du personnage que l’on a construit, qui est dans le contrôle et qui fait. Lorsque quelqu’un arrête de faire – et c’est là l’un des modes opératoires communs entre les deux pratiques – et qu’elle laisse faire, qu’elle laisse inspirer, le son, la puissance et la justesse arrivent alors naturellement. Le personnage peut céder le pas à la Personne et le contrôle s’effacer au profit de la Maîtrise.
La particularité de la Pneumaphonie est qu’elle est un travail sur le Véhicule, sur l’Incarnation, ou plus prosaïquement, sur l’instrument. Serge Wilfart dit du Souffle-Voix que c’est un travail de « lutherie vocale », voire, comme il a beaucoup d’humour, de « plomberie vocale ». C’est-à-dire qu’il s’agit simplement de remettre des tuyaux à leur place.
L’état de transe hypnotique, en pleine conscience, que l’on obtient dans la Pneumaphonie est un état que l’on obtient dans d’autres pratiques efficientes et qui permet d’activer les cerveaux reptiliens et limbiques. Or, ce sont précisément les zones dans lesquelles sont logés les traumas. C’est Bernard qui a attiré mon attention là-dessus avec son expérience des neurosciences.
L’apport de l’Eïnothérapie est que l’on va pouvoir cibler davantage ce sur quoi on va travailler. Par exemple, sur une peur, une culpabilité, un deuil… L’Eïnothérapie va amener la lumière de la conscience et favoriser le nettoyage, ou s’il n’y a pas de nettoyage à opérer, va permettre au pratiquant d’apprendre à descendre de lui-même dans le lâcher-prise.
En Pneumaphonie, on se préoccupe de la mécanique intérieure, aux plans respiratoire, physiologique et énergétique. On laisse l’exploration de la psyché à la seule responsabilité du pratiquant. Or, l’exploration de ces zones nécessite aussi, souvent, d’être guidée.
Pourquoi la Pneumaphonie ne guide-t-elle pas davantage sur ce plan ?
B. Grenard : La Pneumaphonie part du postulat que quand l’Instrument change, le Musicien à l’intérieur – on pourrait dire, la personne, son âme – change également. C’est indéniable, car c’est une chose que l’on constate, mais ce n’est que partiellement vrai selon moi. Tout simplement parce que c’est aussi une question sur laquelle il est très facile de se leurrer.
Parfois, on croit avoir changé à l’intérieur mais c’est simplement que le Musicien a accès a des nouveaux moyens d’expression : il utilise d’autres cordes jusqu’ici inusitées de son instrument. L’Instrument est différent, plus riche, mais sur le fond, l’âme ne s’est pas – ou, en tout cas, pas toujours – réellement transformée.
J’en suis convaincu : aucun travail de fond ne peut se faire sans travailler sur son Ombre. La Pneumaphonie est, à cet égard, un outil puissant… pourvu que l’on y apporte la conscience nécessaire.
De ce point de vue, l’Eïnothérapie apporte un complément vraiment intéressant. Elle propose un accompagnement précis : la personne est, à mon sens, mieux guidée dans son exploration d’elle-même. On l’invite à se rendre dans des zones dans lesquelles elle n’irait pas, et où la Pneumaphonie ne cible pas suffisamment. La combinaison des deux apporte selon nous une exploration de soi plus complète.
D’un côté, on pourrait se dire : « A quoi sert un bel instrument, si l’âme qui l’habite n’a pas fait le tour d’elle-même ? » et de l’autre : « A quoi sert que l’âme ait changé si l’incarnation n’en témoigne rien » ?
B. Grenard : D’une certaine manière, oui. Cela dit, l’Eïnophonie ne prétend pas apporter une réponse définitive à ces questions d’une vie. Elle propose simplement des outils plus complets en tentant sa propre synthèse.
B. Sensfelder : Personnellement, ce qui m’a frappé dans les stages de Pneumaphonie, c’est que le pratiquant, la plupart du temps, ne se retrouvait en état de transe qu’après un temps de chant. Pour moi, il y avait donc déjà une « perte » de temps. La question qui s’est posée était : et si la personne commençait à chanter en étant déjà dans cet état-là. Mon idée était donc d’abord d’apporter un plus à la Pneumaphonie en permettant d’aller plus en profondeur, plus vite, par l’acquis de l’hypnose.
Sauf que, et cela je l’ai compris après, ce qui fait que la personne a perdu sa voix et en a construit une adaptée à la société, l’environnement, c’est le fait qu’il y a eu construction d’un personnage et souvent, la perte de contact avec la Personne réelle. Le constat de la Pneumaphonie rejoint ici celui de l’Eïnothérapie.
Or, j’avais creusé cette question dans mon approche d’Eïnothérapie. Pour moi, il y a, à la base, une Personne, un Individu qui arrive au monde : cette Personne interagit avec les autres, et je suis convaincu, au contraire de ce que nous dit la psychanalyse, qu’elle aime les autres et qu’elle donne spontanément, qu’elle est dans un mouvement d’« aller vers ». Lorsqu’il y a mauvaise réception, lorsque cet amour est refusé ou sa façon de donner n’est pas reconnue, l’enfant croit que sa façon de donner est mauvaise, inadaptée.
Et du coup, pour arriver à donner par amour, la Personne automatiquement laisse se construire à sa place un personnage, en le faisant vivre en essayant que ce personnage puisse donner aux autres pour que ceux-ci aillent bien, qu’ils soient heureux. A ce moment là, la Personne se perd de vue et fait fonctionner son personnage. Elle fait au lieu d’être. A ce moment là, il y a la manifestation du personnage par une altération vocale et également par une altération de la posture corporelle, ce qui va ensemble.
En somme, les deux approches, chacune avec leurs outils, tendent à faire tomber le masque du personnage. Elles font en sorte que la Personne puisse trouver les ressources pour s’asseoir confortablement en elle-même. De cette manière, elle trouve sa place plus naturellement dans l’environnement, lequel va s’adapter. Et, en même temps, la Personne trouve sa juste place dans le mouvement continu de l’univers.
Comment l’articulation entre l’hypnose et le souffle-voix se passe-t-elle ?
B. Sensfelder : Concrètement, il y a deux cas : soit la séance commence par une mise en hypnose et, ensuite la personne change et chante. Soit, après la mise en hypnose, à l’instant où elle va chanter, il y a un centrage sur une problématique, un blocage dans l’histoire de la personne, ou un blocage dans la représentation qu’elle a d’elle-même. On commence donc par le corps, sous état hypnotique, à dénouer quelque chose qui fait blocage et ensuite, on continue à libérer ce qui faisait blocage en reconstruisant sainement par le chant.
B. Grenard : Il est important de dire que Bernard, qui pratique depuis longtemps une thérapie efficace et reconnue, a remarqué que le fait de faire faire du Souffle-Voix à ses patients décuplait les effets de ses séances d’hypnose.
B. Sensfelder : Absolument, et du coup, c’est ce que nous faisons en Eïnophonie, où il y a vraiment un effet de va-et-vient entre les deux pratiques qui fait que c’est encore plus efficace.
B. Grenard : L’hypnose que nous pratiquons permet d’apporter la lumière de la conscience sur « qu’est-ce qu’il faut enlever pour aller jusqu’à Soi », et la Pneumaphonie apporte toute sa puissance et la possibilité d’incarnation de la personne. La Pneumaphonie va apporter beaucoup plus de corps et de matière au travail hypnotique.
Quels types d’exercice proposez-vous ?
B. Grenard : Il y en a plusieurs. Mais c’est une discipline créative, de sorte que nous inventons et ressentons sur le moment. Cela dit, il y a des « classiques » : le fait de travailler, par exemple, sur la peur de l’autre, qui est à l’origine de beaucoup de problèmes vocaux.
Quels sont les effets ?
B. Sensfelder : Les résultats sont sensibles en consultation individuelle comme en stage. En individuel, les patients sont surpris et très dubitatifs lorsque je leur explique que pour cette séance ils vont chanter avec de l’hypnose. Ils se laissent prendre au jeu, car ils me font confiance. Systématiquement, à la séance suivante, ils font la liste des transformations, avec beaucoup de bonheur à chaque fois. Par exemple, en individuel, j’accompagne actuellement un enfant autiste par Eïnophonie. Non seulement il est ravi de venir et très demandeur, mais en plus les résultats se manifestent pas des changements favorables dans tous les domaines de sa vie. Sa mère qui assiste aux séances est aussi surprise que moi de l’efficacité de ce suivi.
Pour les stages, certains participants ont l’impression d’enfin se retrouver, les bilans que nous avons reçus après les stages montrent systématiquement un avant et un après. En fait, lorsque nous avons demandé aux participants de nous envoyer un bilan à 15 jours, nous ne nous attendions pas à autant de retours soulignant des transformations profondes… Chez à peu près tout le monde, il y a des retours sur une plus grande confiance et affirmation de soi dans la relation avec l’autre. Chez beaucoup, afin de renforcer les acquis, il y a une mise en place d’exercices d’auto-hypnose de telle manière à pouvoir continuer à se débarrasser des blocages, tout seul, après le stage. Et, pendant le stage même, des personnes nous disent qu’elles avaient un poids, une tension, depuis toujours et que ceci est parti pendant l’exercice. En bref, non seulement il y a des effets, mais ce sont de profonds bénéfices.
B. Grenard : Certes, le travail effectué a des impacts et des effets indéniables. Mais, se projeter en termes d’effets ou de gain thérapeutique, c’est déjà être dans l’intention, dans un projet, potentiellement dans le faire. Or, ce n’est pas l’âme de l’Eïnophonie qui se rapproche de ce point de vue de la Pneumaphonie.
L’attitude la plus juste est, selon moi, de venir pratiquer l’Eïnophonie, non pas pour se débarrasser de quelque chose, mais simplement pour faire vivre cet espace d’intériorité et de chant, pour aller à l’intérieur de soi, vivre un processus intérieur. L’aspect thérapeutique est, pour moi, secondaire. C’est d’ailleurs en se dépouillant de toute intention, en étant simplement ouvert au présent, que les résultats sont encore plus tangibles sur ce plan là.
B. Sensfelder : Pour compléter le propos de Benjamin, l’intention du mouvement empêche le mouvement de se faire par lui-même.
Benjamin Grenard, vous êtes vice-président de l’Association internationale de Pneumaphonie Serge Wilfart (AIPSW). Par rapport à cette combinaison, ne vous sentez-vous pas en porte-à-faux vis-à-vis de la Pneumaphonie ?
B. Grenard : Non, je suis un praticien enthousiaste de Pneumaphonie, qui reste la base de ce que je propose aujourd’hui à ceux que j’accompagne. Que la Pneumaphonie connaisse des prolongements est une chose naturelle. Il ne faut pas confondre la vertu qu’est la fidélité avec le vice qu’est l’immobilisme, dit-on.
Si la Pneumaphonie est basée sur des principes qui sont toujours les mêmes, il y a un aspect créatif et intuitif important dans cette discipline. D’ailleurs, sur les dix années que j’ai passées auprès de Serge Wilfart, je l’ai vu lui-même considérablement évoluer. Au départ, il y avait beaucoup de postures, parfois très éprouvantes, et, ces derniers temps, la méthode s’est considérablement épurée. Bien souvent, il suffisait de lever un bras et tout le travail se faisait. En outre, si la méthode Wilfart est une approche rigoureuse, il y a autant de manière de faire vivre la Pneumaphonie que de pneumaphonistes.
Cela dit, on est avec l’Eïnophonie dans une pratique différente avec l’intervention de l’hypnose et de l’Eïnothérapie, qui justifiait de mettre un nom différent, ne serait-ce que par respect pour la Pneumaphonie et Serge Wilfart.
En un sens, l’Eïnophonie est fille de l’Eïnothérapie et de la Pneumaphonie.
(lire l’entretien précédent sur : la rencontre du Souffle-Voix avec une hypnose particulière….)